Comment des enfants ont joué au boucher


I.

Dans une ville du nom de Franecker, située en Frise occidentale, il arriva que de jeunes enfants, âgés de cinq et six ans, des filles et des garçons, jouent ensemble. Et ils décidèrent qu'un petit garçon serait le boucher, qu'un autre serait le cuisinier et qu'un troisième petit garçon serait le cochon. Une petite fille, ainsi décidèrent-ils, serait la cuisinière, et encore une autre serait la fille de cuisine. Et la fille de cuisine devrait recueillir le sang du cochon dans un récipient pour qu'on puisse en faire des saucisses. Le boucher s'approcha donc, comme convenu, du petit garçon qui devait être le cochon, le renversa et lui trancha la gorge avec un petit couteau, et la fille de cuisine recueillit le sang dans son petit récipient. Un conseiller du maire qui passait justement par-là vit ce malheur: il alla aussitôt chercher le petit boucher et l'emmena chez le maire, qui convoqua tout le conseil sur-le-champ. Ils étaient tous penchés sur cette affaire et ne savaient quelle décision prendre, car ils voyaient bien que c'était arrivé pendant un jeu d'enfants. L'un d'entre eux, un homme âgé et sage, suggéra que le juge supérieur prenne une belle pomme rouge dans une main et un florin rhénan dans l'autre, qu'il appelle l'enfant et qu'il lui tende ses deux mains en même temps. Si l'enfant prenait la pomme, il serait déclaré innocent, mais s'il prenait le florin, il serait tué. On suivit ce conseil. L'enfant saisit la pomme en riant et fut donc déclaré libre de toute punition.

II.

Un jour, un père de famille égorgea un cochon, et ses enfants le virent faire. Un après-midi, comme ils voulaient jouer ensemble, l'un des enfants dit à l'autre: " Toi, tu seras le petit cochon, et moi, je serai le boucher. " Sur ces mots, l'enfant saisit un couteau et le planta dans le cou de son petit frère. La mère, qui était en haut dans la maison, occupée à baigner son dernier-né dans un baquet, entendit les cris de son autre enfant. Elle descendit aussitôt l'escalier en courant et, quand elle vit ce qui s'était passé, elle retira le couteau du cou de son enfant et, sous l'effet de la colère, elle le planta dans le cœur de celui qui avait été le boucher. Elle se précipita ensuite dans la pièce pour voir ce que faisait l'enfant qu'elle avait laissé dans le bain, mais entre-temps, celui-ci s'était noyé. La femme en fut si effrayée qu'elle sombra dans le désespoir. Ses domestiques ne parvinrent pas à la consoler et elle se pendit. Le mari rentra des champs et, à la vue de tout cela, il eut tant de chagrin qu'il mourut peu de temps après.



Max Jacob Grimm (1785-1863)
Wilhelm Grimm(1786-1859)


Back

Back