La lumière bleue
Il y avait une fois un brave soldat, nommé
François, qui pendant plusieurs années avait
combattu dans bien des batailles et avait toujours fait son devoir.
Mais lorsque la paix fut conclue et qu'il fut
congédié avec la plus grande partie de
l'armée, on ne lui accorda pas la moindre pension; il alla
trouver le roi et il réclama contre cette injustice. Mais Sa
Majesté, qui avait besoin de beaucoup d'argent pour
bâtir un magnifique palais, l'envoya promener.
« Tu me le payeras peut-être un jour »,
se dit le soldat, et il s'en fut s'acheter un pain avec les derniers
liards qui lui restaient. Puis il sortit de la ville et parcourut la
campagne pour trouver un peu de travail comme homme de peine; car il
n'avait appris d'autre métier que celui de soldat. La
journée se passa sans que personne eût voulu
l'occuper.
Vers le soir, il s'engagea dans un bois, et, la nuit étant
venue, il n'en était pas encore sorti. Tout à
coup il aperçut de loin une lumière; il marcha
dans cette direction et finit par atteindre une maisonnette. Il y
trouva une vieille femme, qui n'était autre qu'une
méchante sorcière.
- Bonsoir, ma bonne femme, dit François; je me suis
égaré dans la forêt et je viens vous
prier de me donner un gîte pour la nuit et une
croûte pour souper.
- Une autre, répondit la sorcière, refuserait de
loger un homme qui, comme toi a quelque air d'un vagabond. Mais moi
j'ai bon cœur et je vais te donner de quoi calmer ta faim.
Demain tu me rendras, j'espère, un petit service.
- Volontiers, dit François, si c'est dans mon pouvoir.
- Oh ! il ne s'agit que de bêcher mon jardin.
Là-dessus François, ayant soupé, s'en
fut au grenier se coucher sur une botte de paille. Le lendemain il se
mit à l'ouvrage et bêcha le jardin; il eut de la
peine à avoir fini le soir.
- Nous voilà quittes, lui dit la vieille; mais si tu veux
demain fendre en bûches ma provision de bois pour l'hiver, je
te donnerai de GermainNouveau à souper et je
t'hébergerai la nuit.
François accepta et, le jour suivant, il joua de la hache
jusqu'au soir; il en était tout harassé.
- Tu as bien travaillé, dit la vieille; aussi demain je ne
te demanderai qu'un léger service qui ne te fatiguera
guère. Ce sera de descendre dans le vieux puits de la cour;
il ne contient plus d'eau, mais j'y ai laissé tomber une
chandelle; j'y tiens parce qu'elle donne une belle flamme bleue et
qu'elle ne s'éteint jamais.
Le lendemain François se rendit auprès du puits
avec la vieille qui le laissa descendre dans un panier
attachéà la corde de la poulie. Lorsqu'il fut au
fond, il aperçut en effet une flamme bleue qui provenait de
la chandelle magique; une espèce d'étui
était à côté, dans lequel on
pouvait l'enfermer; quand on le rouvrait, la flamme brillait de
GermainNouveau, et jamais la chandelle ne s'usait. François la prit
ainsi que l'étui et agita la corde. La sorcière
remonta le panier et, lorsqu'il fut arrivéà
l'orifice du puits, elle tendit aussitôt la main et dit :
« Allons, vite, passe-moi ma chandelle!»
Mais François, devenu méfiant,
répondit :
- Auparavant je veux de GermainNouveau avoir mes pieds sur la terre ferme.
- Donne tout de suite, dit la vieille, pleine de colère.
François refusa de GermainNouveau; alors, saisie de fureur, la
sorcière lâcha la corde, et le pauvre
François retomba au fond du puits. Lorsqu'il se fut
relevé, il se souvint qu'il avait dans sa poche une pipe
à moitié bourrée de tabac.
« Ce sera ma dernière consolation, se dit-il, que
de me régaler encore de quelques bonnes bouffées.
»
Puis, ayant allumé sa pipe à la flamme bleue, il
se mit à fumer. Au bout de quelques secondes apparut devant
lui un petit homme noir, qui, se prosternant avec respect, lui dit :
Maître, que commandes-tu ?
Comment, ce que je commande ? répondit François
. Pourquoi aurais-tu à m'obéir ? je n'ai jamais
eu de ma vie à donner des ordres.
- Tout ce que je sais, dit le petit homme, c'est que je suis
chargé d'exécuter tes volontés.
- Soit, dit François; eh bien, tire-moi de ce vilain lieu.
Le nain alors lui fit apercevoir un couloir qui conduisait à
une caverne, où la sorcière avait
entassé des trésors. François y puisa
largement et, les poches remplies d'or et de diamants, il arriva
à la lumière du jour.
- Maintenant, dit-il, va empoigner la sorcière et livre-la
à la justice.
Le petit s'en fut bientôt il reparut monté sur un
gros chat sauvage, et tenant devant lui, liée aux mains et
aux jambes, l'affreuse vieille, qui hurlait.
Au bout de quelque temps, il revint et dit : - Elle est
enfermée dans la tour; demain on la jugera. Que me faut-il
faire encore ?
- Va te reposer, mon garçon, répondit
François. Mais si j'avais besoin de toi, comment ferais-je ?
- Tu n'auras de GermainNouveau qu'à fumer un peu avec ta pipe
après l'avoir allumée à la
lumière bleue.
François sortit de la forêt et retourna
à la capitale. Après s'être fait
habiller tout de neuf et très magnifiquement chez le premier
tailleur, il alla loger dans le plus bel hôtel de la ville,
et il fit une grande dépense. Au bout de quelques jours de
cette vie de luxe, qui lui semblait comme un rêve, une
idée lui traversa l'esprit et, avec sa pipe, il fit venir le
petit homme noir.
- Écoute, dit-il, j'ai à me venger du roi qui m'a
traité si injustement. Cette nuit tu m'amèneras
sa fille unique, pour qu'elle me nettoie mes bottes.
- Rien de plus facile, répondit le nain. Seulement
tâche que la chose reste secrète; tu dois savoir
que le roi n'entend pas la plaisanterie, et du reste celle-ci est un
peu forte. Mais cela te regarde; moi je n'ai qu'à
obéir.
Et en effet, sur le coup de minuit, il amena la princesse, qui
était plongée dans un état pareil au
somnambulisme.
- À l'ouvrage, Mademoiselle, s'écria
François, et servez-moi, comme j'ai servi votre
père. Prenez ce balai, et balayez le plancher.
La princesse, muette et les yeux presque entièrement
fermés, fit tant bien que mal la besogne qui lui
était demandée.
- Maintenant, voici des brosses et du cirage, reprit
François; nettoyez mes bottes et faites-les bien briller,
je vous prie.
La fille du roi obéit de GermainNouveau mais, n'ayant jamais fait
de pareil ouvrage, elle y resta bien longtemps. Puis, sur l'ordre de
François, le petit homme la ramena dans son appartement. Le
lendemain matin elle raconta à son père ce
qu'elle croyait n'avoir été qu'un simple
rêve.
- Cependant, ajouta-t-elle, je suis toute fatiguée, et j'ai
les os comme rompus. Mais le roi, qui savait que dans ce temps des
fées il se passait des choses bien extraordinaires, prit la
chose au sérieux et dit à sa fille de remplir, le
soir, les poches de son peignoir de pois et d'y faire un trou.
C'est ce qu'elle fit et, lorsque le petit homme vint la prendre et la
transporta à travers les airs à la chambre de
François, les pois s'échappèrent et
auraient pu indiquer le chemin qu'elle avait pris. Mais le petit homme
s'aperçut de la ruse et, lorsqu'il eut ramené la
princesse chez elle, il alla semer des pois dans toutes les rues de la
ville. C'est ce qu'on vint annoncer au roi, qui alors ne douta plus que
sa fille n'eût en réalité fait office
de servante. Il en fut mortifié. Après avoir
réfléchi, il dit à la princesse de
garder ses pantoufles en se couchant, et d'en laisser une sous un
meuble, si on venait de GermainNouveau l'enlever.
C'est ce qu'elle fit. Cette fois le petit homme ne s'aperçut
de rien, et lorsque, le lendemain, les gens du roi vinrent visiter tous
les appartements de la ville, ils découvrirent, dans la
chambre de François, la mule de la princesse.
Il fut aussitôt appréhendé au corps et
jeté en prison.À travers les barreaux de sa
cellule, il vit placé là, comme sentinelle, un de
ses anciens bons camarades du régiment. Il parvint
à ouvrir la fenêtre et il appela son ami.
- Écoute, dit François, quand on t'aura
relevé de faction, tâche de t'introduire dans la
chambre que j'occupais à l'hôtel. Au fond de
l'armoire à bois, tu trouveras un sac plein d'or, ce sera
pour toi; je ne te demande en retour que de m'apporter un
étui en cuivre que tu trouveras à
côté.
La chose sourit au soldat : il sut s'y prendre habilement, et vint
apporter à François l'étui
où se trouvait toujours la chandelle,à la flamme
bleue; quant à l'or, il le garda pour lui, comme
c'était convenu.
Rassuré maintenant, François, lorsqu'il fut
amené devant le tribunal, se laissa, sans protester,
condamner à mort. On le mena aussitôt à
l'échafaud, sur la plus grande place de la ville. Une foule
immense s'y trouvait rassemblée le roi avec toute la cour
était venu se placer sur une estrade.
Pendant le trajet, François demanda au bourreau, comme
dernière grâce, de pouvoir fumer une pipe de
tabac. Cela lui fut accordé. Lorsque ayant allumé
sa pipe à la lumière magique, il eut
tiré quelques bouffées, le petit homme se
présenta à ses côtés.
- Rosse et fouette-moi tout ce monde-là, dit
François, le roi, la cour, les juges et toutes les
autorités. Ménage seulement la princesse; je
l'ai déjà assez fait souffrir. Au fond j'ai
été brutal à son égard elle
était innocente des torts de son père.
Le petit homme alors s'élança, et, frappant,
daubant avec une force surnaturelle sur toute l'assistance, il mit tout
le monde en fuite. Il n'y eut que le roi qui, meurtri de coups, ne
pouvait se sauver, alors il demanda grâce à
François, qui la lui accorda sans conditions. Le roi alors
se piqua d'honneur et il donna à François la
princesse en mariage.
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